À la SNCF, le tweet détrône le haut-parleur

Des agents de la SNCF et de la RATP utilisent le réseau social Twitter pour informer rapidement les usagers. Décryptage :

Le train régional pour Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), départ prévu à 11 h 05, reste obstinément à quai. La SNCF ne semble pas s’en émouvoir. Les passagers qui ont pris place à bord n’ont pas croisé de contrôleur et le haut-parleur n’a diffusé aucune annonce. Bientôt, le convoi s’ébranle en douceur, provoquant un certain soulagement dans les voitures.

Mais il s’arrête quelques minutes plus tard, et les passagers multiplient les signes d’impatience ou de résignation. Le contrôleur ne se montre toujours pas. De rage, un voyageur empoigne son téléphone portable et se connecte au réseau Twitter. En 140 signes, il dénonce les retards récurrents et l’absence de personnel de la SNCF.

Surprise, le râleur reçoit une réponse immédiatement ! Sous le pseudonyme @Conducteur_SNCF, Antoine, 24 ans, dont le métier consiste à convoyer des trains régionaux en Bretagne, demande posément au voyageur de lui fournir le numéro du train. A peine quelques minutes plus tard, toujours bloqué « en pleine voie », comme on dit en jargon ferroviaire, le passager apprend les raisons du retard et la durée prévisible de l’attente.

Le jeune conducteur, également auteur d’un blog, ne souhaite témoigner que sous son pseudonyme. Une recherche par mot-clé, « SNCF », « train » ou « contrôleur » lui permet de repérer les voyageurs dans l’embarras :

Les passagers s’interrogent sur les interruptions de trafic, le prix des billets ou les retards. Il est souvent possible, en consultant un site accessible au public, de leur fournir une réponse. Un dialogue s’instaure alors, par réseau interposé, avec les clients, qui finissent par me dire merci. Antoine Baron, conducteur de train SNCF.

CES PROPOS N’ENGAGENT QUE MOI

D’autres employés, comme Jérémy, agent de signalisation qui tweete sous le pseudonyme @Agent_InfraSNCF, ou encore @SmileyTrains, conducteur en Ile-de-France, renseignent régulièrement les voyageurs sur les travaux qui ralentissent le trafic, les particularités des trains en circulation ou les incidents.

Ces comptes personnels, où fusent à l’occasion des remarques plus ou moins futiles sur l’actualité politique, sportive ou people, sont rédigés en langage Internet et émaillés de smileys et autres « lol ».

Tous affichent en préalable la phrase rituelle : « Ces propos n’engagent que moi ». La SNCF ne peut plus ignorer ces internautes qui communiquent en son nom. La compagnie ferroviaire a choisi de laisser faire plutôt que d’interdire. Les cheminots, qui « s’expriment en leur nom propre », comme l’indique doctement le service de communication, ont le droit de mentionner la SNCF comme employeur, mais ne peuvent parler officiellement à la presse. Tous les cheminots qui s’expriment sur Twitter refusent d’ailleurs de divulguer leur nom de famille.

La compagnie ferroviaire ne rechigne pas à utiliser cet outil de communication gratuit et performant. Michaël Fleurbaey, ancien contrôleur en Ile-de-France, a tweeté bénévolement pendant un an et demi. Repéré par le service de communication, il gère désormais le site SNCF Questions & Réponses, où officient six volontaires, spécialistes du rail.

Marc, 33 ans, contrôleur dans les TGV entre Paris et la Suisse, fait partie de ces quelques experts. Il a pour l’occasion créé sa propre adresse mail et répond, plusieurs fois par jour et sans jamais recevoir de rémunération, à des voyageurs qui s’inquiètent de ne pas voir passer le contrôleur, à ceux qui espèrent obtenir un remboursement, voire aux grincheux qui se scandalisent de l’âge de la retraite des cheminots. Son activité débordante lui vaut parfois d’être reconnu, dans un train, par un passager, car les experts ont leur photo sur le site SNCF Questions & Réponses.

La RATP est confrontée au même dilemme. Plusieurs agents de la régie n’hésitent pas à parler directement au public. Cédric Gentil, 33 ans, conducteur du RER A, est un internaute prolixe. Auteur d’un blog sur le site du quotidien Libération, qui recueille chaque jour environ 1 500 visites, le conducteur dispose d’un compte Twitter très suivi et répond régulièrement aux sollicitations de la presse nationale. En ligne, il n’hésite pas à conseiller les habitués. « Certains passagers se demandent par exemple pourquoi il n’est pas possible de faire descendre du train un voyageur malade. Or, les agents ne sont pas médecins et sont souvent occupés lorsque se produit un incident », témoigne-t-il.

M. Gentil estime qu’il est de son devoir – tout aussi bénévolement que les cheminots – de faire bénéficier les voyageurs de quelques astuces.

Dans certaines stations, deux RER sont stationnés sur des quais différents. Pourquoi ne pas permettre aux gens de distinguer, à l’avance, quel train partira le premier ? Il leur suffit pour cela de comprendre des signaux en principe destinés aux agents.
Cédric Gentil, conducteur de RER RATP.

Le conducteur regrette de ne susciter aucune réaction de sa hiérarchie, ni pour lui intimer de ne plus communiquer ni pour l’encourager. « Personne ne m’a jamais appelé », déplore-t-il.

Contactée, la direction de la communication de la RATP reconnaît qu’un « voyageur mieux informé est un voyageur plus serein ». Dans cette logique, « si des initiatives individuelles peuvent permettre, à l’image du blog de Cédric Gentil, de faire comprendre avec pédagogie aux voyageurs le défi que suppose l’exploitation du réseau RATP, c’est plutôt une bonne chose », explique-t-elle.

Article original d’Olivier Razemon publié sur le site LeMonde.fr le 25 octobre 2012.