Une journée avec les Community Manager SNCF

Vendredi dernier, au début du chassé-croisé entre juillettistes et aoûtiens, le journal Libération s’est incrusté chez les Community Managers de la SNCF, chargés d’informer, de rassurer et parfois de supporter les usagers.

Au moment où les vacances battent leur plein et où la SNCF s’embourbe dans une sombre histoire de panne en gare Montparnasse à Paris qui a bien failli gâcher l’été de certains, Libération a passé une journée avec les Community Managers (CM) qui animent les comptes Twitter et Facebook de l’entreprise publique. Et ils sont nombreux pour gérer les milliers de messages journaliers adressés par quelque 2 millions de followers, tous comptes confondus.

Le pôle info-trafic SNCF

Michaël Fleurbaey, coordinateur des réseaux sociaux, et Pierre Barrier, l’un des attachés de presse de la boîte, ne nous quitteront pas d’une semelle au cours d’une journée qui démarre dans un bâtiment plutôt cossu près de la gare de l’Est, le centre national des opérations ferroviaires (CNOF). A l’intérieur, le « pôle info-trafic » accueille quatre personnes, dont trois ayant une formation journalistique ainsi qu’une cheminote, prêtes à répondre en temps réel de 7 à 22 heures 7 jours sur 7, dès lors que le souci concerne le trafic et le confort à bord. Entendez, retards sur les lignes, problème de prise électrique, climatisation trop forte, propreté… C’est l’une des trois succursales SNCF en plus de celle située à Vannes, qui gère les « réponses simples » aux voyageurs. La Social Room de Saint-Denis, elle, s’occupe de tout le reste : les jeux concours, l’image de marque, les réponses aux questions loufoques.

Comment les messages reçus sur les réseaux sociaux par la SNCF sont-ils dispatchés ?

« Ils sont catégorisés par un prestataire extérieur via mots-clés. »

Michaël Fleurbaey

Fatima, la cheminote formée aux réseaux sociaux, répond aux internautes sur son écran de droite ; sur celui de gauche, les trains en retard sont signalés par une notification. Toutes les informations relatives aux incidents sont indiquées grâce aux Centres opérationnels des services aux clients (COS) effectifs sur les axes Nord, Est, Atlantique et Sud-Est. De quoi renseigner au mieux les voyageurs. « Si on manque de données, on en avisera le dirigeant national voyages qui contactera directement le contrôleur du train en question« , précise-t-on.

Affairée à répondre aux sollicitations, Fatima explique qu’il n’existe pas de réponse type mais qu’elle doit suivre une charte éditoriale : « On ne voulait pas tomber dans les éléments de langages tout fait avec toujours la même réponse. Le but est d’humaniser le rapport sinon nous n’aurions plus qu’à utiliser un chatbot« .

Pas facile cependant de vulgariser les infos, si l’on en croit Fatima. L’affaire la plus complexe à laquelle elle a fait face ces derniers jours? Elle date de la veille.

Le barman d’un TGV s’est embrouillé avec les agents. Il est descendu à la gare suivante ce qui a engendré la fermeture du bar. On a dû trouver quelqu’un pour le remplacer au pied levé.

Fatima (opératrice info-trafic)

La journée est plutôt calme, trop calme pour un week-end de grandes migrations estivales qui verra passer dans ses gares au moins un million de personnes, tout de même : « Ce matin c’est plutôt soft sur les réseaux. J’ai répondu à une dizaine de tweets. Mais ça devrait être plus chaud le week-end du 5-6 août à cause du décalage des vacances scolaires au 7 juillet« . (Fatima)

S’il y a une problématique, Il faut l’exprimer poliment

Après le Xème arrondissement, direction la Social Room basée à Saint-Denis, où se situe le siège, pour rencontrer les « vrais » CM (disent-ils), ceux qui sortent d’écoles spécialisées. L’impression d’entrer chez Google. Rien à voir avec l’image vieillissante de la SNCF. Là c’est la version start-up américaine, on entre par un potager où sont notamment cultivées des tomates cœur de bœuf. A l’accueil, plusieurs baby-foots donnent sur une baie vitrée face à une terrasse. C’est grand, beau, épuré.

Avant d’arriver à la Social Room proprement dite, par un dédale de couloirs, détour par la salle de crise, qui, comme son nom l’indique, s’anime à des moments cruciaux. Ambiance NASA. Des Macintosh à perte de vue, tous bien alignés face à un écran géant sur lequel s’affiche notamment le trafic de tous les trains en temps réel. En vert, c’est quand tout va bien, en rouge, quand ça craint. Défense de prendre des photos de la carte. A chaque crise, les grands patrons en charge d’un pôle SNCF descendent de leur tour d’ivoire pour prendre position dans la salle.

La Social Room SNCF

Une grande salle baignée de lumière, accueille dix personnes qui campent autour d’une table basse devant un écran géant (encore) sur lequel l’agrégateur de comptes Twitter Tweetdeck est en bonne place et grâce auquel tous checkent « les remontées ferroviaires » des internautes. Au mois de juin, ils ont répondu à environ 2300 messages (Facebook, YouTube, Instagram, Twitter).

Deux Community Managers se relaient toute la journée, en relation avec une directrice artistique, un data analyst, deux autres CM coordinateurs TER et Intercités, une personne chargée de la photo et de la vidéo ainsi que deux autres rattachées aux opérations spéciales. Le tout sous la houlette de Quentin, sorte de chef d’édition. La plupart viennent de l’agence de communication Ici Barbes, qui a remporté l’appel d’offres. Tous travaillent à 100% pour la SNCF.

Yuri Buenaventura

Ce jour-là, Anna et Nesrine ont notamment pour mission d’animer les pages et les communautés Twitter et Facebook, d’élaborer des bilans de performance (reporting), de répondre aux réclamations dans d’autres langues mais aussi aux messages les plus saugrenus.

« Ce matin j’ai répondu à Yuri Buenaventura (le chanteur colombien de salsa) qui nous a cités », interpelle Anna qui s’est également chargée de répondre à Dylan « grand fan de train qui rêve de faire un voyage en cabine TGV »: « Malheureusement, ce n’est pas possible pour des questions de sécurité. »Ça, c’est le côté sympathique.

Les gens irrités, les insultes, c’est régulier : « On a une catégorie où elles sont stockées. On ne répond jamais quand c’est gratuit, sauf quand ça peut être constructif« . (Nicolas, Data Analyst SNCF). « En ce moment l’insulte à la mode c’est « allez manger vos morts… » (Quentin, Social Room SNCF). « S’il y a une vraie problématique, il faut l’exprimer poliment« , renchérit Nicolas.

Les clashs

Qui parmi vous s’est lancé dans le célèbre tweets-clash avec SFR, demande-t-on. Et qui a répondu à cette déchirante lettre de rupture d’un internaute adressée à la SNCF ?

« Dans ce genre de cas, on brainstorme à plusieurs avant de faire une réponse« , rapporte Quentin. « Si l’échange de vannes entre la SNCF et SFR est du pur hasard, l’enrôlement des autres CM d’Interflora, Carrefour… a été provoqué par message privé, histoire de faire un peu plus de buzz« , admet Michaël Fleurbaey.

La caution artistique est aussi une plus-value non négligeable. Et ça, c’est la mission de Julia, la directrice artistique. Parfois, un bon dessin vaut mieux qu’une réponse foireuse !

Article écrit par Aurore Coulaud et publié sur Libertation.fr le 4 aout 2017.